lundi 14 décembre 2009

Yanvalou pour Charlie de Lyonel Trouillot




Revue de presse :


Plus qu'un écrivain haïtien, Lyonel Trouillot est un acteur engagé de la vie publique de son île. Le peintre sensible des fractures qui la disloquent. En témoigne ce nouveau roman polyphonique, véritable portrait croisé d'une nation récif où viennent se briser les reflux du monde. On y retrouve les séquelles d'un ordre mondial injuste, les mirages du modèle américain, la peur du pauvre, l'aveuglement ou la solidarité désarmée. Le temps d'une dérive insulaire en quête de réconciliation pour Mathurin D. Saint-Fort.

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Retours au pays natal
Par Grégoire Leménager
" Yanvalou pour Charlie " est bien un roman, et même un des plus subtils que l'on puisse lire par les temps qui courent. Comme dans " la Chute " de Camus, son héros est un avocat pragmatique, sinon cynique, pour qui " le souvenir est un luxe, pas une nécessité ". C'est qu'en quittant son village, des années plus tôt, il a " choisi de perdre la mémoire " pour mieux grimper dans l'échelle sociale. " Travailler plus pour gagner plus " lui servirait assez bien de maxime ; c'est Rastignac à Port-au-Prince. Mais les Rastignac, même barricadés dans leurs mensonges, n'atteignent jamais qu'un équilibre précaire. Et celui auquel est parvenu ce brillant personnage n'a plus qu'à s'écrouler quand un jeune orphelin, originaire de sa région, vient forcer sa porte, l'appeler à l'aide et détoner comme un coup de pistolet au milieu d'un concert.

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Après une brève escapade vers une littérature plus intime - le charmant L'amour avant que j'oublie -, Lyonel Trouillot revient à la réalité insulaire avec son huitième roman, Yanvalou pour Charlie. Un récit choral où se mêlent les voix de personnages en détresse, de destins malmenés par la trahison et l'abandon. "Ce livre est né du spectacle au quotidien du mensonge de la vie mondaine haïtienne. Une élite qui se regarde dans des miroirs stupides et reste aveugle à la réalité des autres." Symbole de cette classe dévorée par l'ambition, Mathurin a quitté son village natal pour les ors d'une existence nouvelle. Devenu avocat d'affaires, il mène une vie que rien ne trouble, si ce n'est l'éventualité de sa prochaine promotion. Débarque alors Charlie, adolescent gouailleur et loqueteux, qui vient implorer son aide après un braquage raté. Le genre de gamin capable de vous affirmer de but en blanc: "C'est toujours dangereux d'écouter les histoires des autres. Tous les malheurs du monde viennent des histoires qu'on nous raconte."

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La chronique littéraire de Jean-Claude Lebrun
Lyonel Trouillot La force des faibles
Lyonel Trouillot a fait paraître son premier roman en 1989 et s’est rapidement imposé comme l’un des écrivains majeurs d’Haïti. Dans ses proses comme dans ses poésies, en créole ou en français, il saisit les réalités de son pays sans exotisme ni complaisance. Fouillant à chaque fois un terreau historique et humain complexe, à partir de cheminements d’écriture inattendus qui situent son oeuvre au plus haut dans la riche nébuleuse des littératures caribéennes.
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Un gamin déguenillé qui va "foutre le bordel" dans la vie bien rangée du narrateur, Mathurin.Avocat dans la capitale haïtienne, celui-ci affiche volontiers son cynisme ("Je ne perds pas de procès ce qui commence à se savoir. Les gens respectent les gagnants. Vaincre est un capital social"). Ce cynisme de façade s'effondre lorsque Charlie vient dans son bureau "réveiller les morts et les bons sentiments" avec "des histoires de village, de meurtre, d'argent sale, d'amour et de misère, de musique populaire et de quartier bourgeois".En balançant à Mathurin son deuxième prénom, Dieutor, prénom qui trahit la misère et les hameaux perdus d'Haïti, Charlie a réveillé des fantômes. Parce que Mathurin, un jour, lui a ressemblé. Parce qu'il vient du même village que Charlie et a décidé de l'oublier.

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La critique de Dédé :



Haïti . Mathurin-Dieutor, jeune avocat prometteur, claquemuré dans l’oubli d’une enfance au cœur d’un village pauvre où il a laissé ses illusions, un vieil ami et ses amours de jeunesse, protégé par une carapace de cynisme faussement innocent face aux réalités de la vie de la capitale d’un pays de misère extrême, est ramené à son passé par l’irruption dans sa vie d’un jeune garçon des rues, à la recherche du Dieutor que Mathurin s’est tant appliqué à effacer.
Si la première partie est racontée par les soins du jeune bourgeois aux dents longues, la deuxième est confiée à Charlie qui nous emmène dans les bas-fonds de la misère haïtienne, jusqu’au paroxysme d’un rendez-vous de tous les dangers entre ceux qui croient en leur étoile et ceux qui croient en un monde où chacun aurait son étoile. A moins que ce ne soit encore par la bouche de Mathurin qui dit entendre dans sa tête les mots de ce Charlie qui ressemble tellement au Dieutor qui débarqua jadis dans la capitale.
La troisième partie est une narration impersonnelle d’une tragédie où chacun, hésitant entre deux identités, va voir se jouer son destin en un éclair, au cœur d’un véritable cloaque déshumanisé où les humains ont peine à se nommer.
Le roman s’achève dans un dialogue indirect et épistolaire entre le jeune avocat, définitivement rangé du côté de la réussite personnelle et son amour d’enfance. Où l’on s’apercevra que l’évènement a permis à Mathurin d’enterrer ses morts en errance et de raccommoder les plus graves déchirures de l’enfance.
Un roman de son époque, qui se recueille sur la tombe des illusions perdues par les générations précédentes et qui ne voit guère d’autre étoile à décrocher qu’un " petit arrangement avec ses morts ".







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