jeudi 7 janvier 2010

Trois femmes puissantes de Marie Ndiaye par Lii

Trois femmes puissantes :



Revue de presse :


Evene :
Puissance. Tel est le mot qui suffirait à condenser, à caractériser le génie d'une telle oeuvre. Alliant élégance et douceur du verbe à une exploration presque impudique des introspections, le nouveau roman de Marie Ndiaye fait l'effet d'un véritable coup de poing littéraire. Il y a Norah, Fanta et Khady Demba que la vie a malmenées, ici ou là. [...]

Télérama :
[...]On connaît le grand art de Marie NDiaye, qui consiste, par l'introduction dans la narration de symptômes d'étrangeté (apparitions, métamorphoses...) de plus en plus discrets au fil des livres, à jouer avec les règles du réalisme pour le complexifier, l'intensifier, l'opacifier. Allant jusqu'à en modifier l'essence même, en creusant chaque fois dans la narration des déchi­rures, des béances - qui sont comme des portes d'entrée vers la vie intérieure la plus profonde de ses personnages, ce lieu indicible de l'être où la psychologie est ­obsolète, ce territoire intime, sauvage, archaïque, violent, toxique, où incubent les blessures originelles, où éclosent les pulsions prédatrices. C'est là, en cette dimension secrète et presque intouchable de l'expérience humaine, qu'évolue toujours Marie NDiaye. [...]



Culture et cie :
Marie Ndiaye livre trois figures féminines bien différentes. En leur refus de succomber, de renoncer à leurs projets et désirs, de céder à la déshumanisation latente, réside leur force.Outre cette souterraine robustesse commune aux trois entités, il existe plusieurs fils conducteurs unissant les trois récits. D’une part, l’espace géographique s’avère être concentré sur un axe reliant le continent européen (et plus particulièrement la France) et africain (avec la capitale sénégalaise : Dakar). Pour la première fois, la romancière explore dans ses fictions ses origines paternelles et investit l’imaginaire, les croyances africaines. [...]

Le point :
Un classicisme somptueux. Proust et Faulkner dialoguant sous des cieux africains. Marie NDiaye, prix Femina pour Rosie Carpe , publie un nouveau roman, divisé en trois histoires qui se répondent entre elles et qui oppresse autant qu'il éblouit le lecteur proprement médusé par la beauté de l'écriture. Le livre s'ouvre sur un "Et", comme si l'on n'avait pas quitté cette femme qui n'en a pas fini avec la figure récurrente du père "implacable et terrible".[...]


La fée Paradis :
Je l'avoue, j'ai eu du mal à rentrer dedans alors que je comptais le dévorer pendant ma semaine de vacances. Puis je me suis secouée les puces car il fallait quand même le rendre à la bibliothèque (le passe droit maternel à la bibliothèque du village a ses limites et j'imagine que d'autres lectrices attendaient avec impatience). [...]


La critique de Lii :

Encensée par les critiques, oeuvre ayant reçu le prix Goncourt, "Trois femmes puissantes" de Marie Ndiaye était assurément un des livres phares de la rentrée.

L'histoire :
Comme le titre l'indique, ce livre est une oeuvre puissante qui frappe violemment le lecteur. Le roman n'en est pas vraiment un puisqu'il s'agit en fait d'un ensemble de 3 nouvelles mettant chacune en scène une femme différente. Ces histoires sont liées par un fil ténu et des détails commun, notamment l'Afrique (le Sénégal) et certains personnages.

Dans la première nouvelle nous découvrons Norah, qui s'est battu tout au long de sa vie pour devenir avocate et obtenir sa situation actuelle. Elle se retrouve confrontée en Afrique à son père. Cet être, à la fois présent et irréel, renferme les hantises de son enfance et la femme va, dans une totale remise en question non seulement d'elle-même mais aussi de tout ce qui l'entoure, être amenée à se libérer enfin de cette prison. En surmontant ses craintes et ses démons elle va s'émanciper de ce si lourd regard paternel mais aussi de sa propre façon de se juger elle même : elle va devenir "puissante".

La deuxième nouvelle est vue sous l'angle d'un certain Rudy Descas et nous fait découvrir, dans une série d'évènements se déroulant sur un temps très court, le passé du personnage et de sa femme, Fanta. Pétri d'amertume, de regrets et de honte envers cette femme arrachée à l'Afrique et à ses rêves, l'homme nous livre une longue introspection. Ce n'est qu'a travers ses pensées que nous pouvons découvrir cette deuxième femme, qui semble s'être murée dans un mur de dignité, en laissant son mari loin, très loin, avec ses regrets.



La troisième et dernière nouvelle raconte l'histoire de Khady Demba, jeune africaine, et sa terrible épopée qui doit la conduire en Europe. C'est certainement l'histoire la plus frappante , tant par sa dureté que par sa fin, tragique. Khady Demba n'est pas puissante parce qu'elle le devient mais car est "elle-même". Cette conscience et cette certitude d'être un être humain unique et irremplaçable fait sa très grande force, sa puissance et nous rend admiratif du personnage.

***


Que reste-il de la lecture de ce livre dont on a tant parlé ?
Ce roman est marquant : il nous touche et s'inscrit en profondeur en son lecteur. Grâce à une introspection virtuose et très poussée des personnages, Marie Ndiaye nous fait pénétrer au plus profond de la conscience de ces derniers avec une force déconcertante et c'est finalement dans l'esprit que se déroule les évolutions de "l'histoire".


La première et la dernière nouvelle sont vraiment très marquantes : l'une pour la puissante prise de conscience de Norah et l'autre pour le personnage de Khady Demba, si digne dans sa condition de femme africaine. D'une infinie justesse, Marie Ndiaye livre là deux personnages forts et au profil subtil.


Je reste moins enthousiaste sur la deuxième nouvelle : longue et brumeuse, elle a tendance a être assomante et, si l'évolution de Rudy n'est pas inintéressante, à sembler terne à côté des deux autres. Est-ce voulu ? Pour montrer la différence entre la puissance des 3 femmes et la faiblesse de cet homme ? Honnêtement, je ne sais pas. Toujours est-il qu'il faut par moment s'accrocher sur ce récit inégal, avec des moments incroyables et d'autres lents, mais si lents ....



L'auteur introduit dans ces histoires une teinte quelque peu ésotériques, où on sent l'influence des traditions africaines (dont la signification peut parfois nous échapper d'ailleurs). Grâce à des métaphores répétées (les oiseaux notamment) elle insère dans son récit une touche poétique et un peu surnaturelle qui n'est pas là pour rassurer le lecteur mais qui semble au contraire accentuer le côté incompréhensible de la folie humaine.


Enfin, parlons un peu du style très spécial de Marie Ndiaye. L'auteur écrit bien, c'est indéniable. Rythmée, grave, sa voix est hypnotisante. Néanmoins on peut lui reprocher une tendance à en faire trop et ses phrases-fleuves d'une demie-page sont vraiment décourageantes par moment. C'est d'autant plus déstabilisant qu'elle fait s'alterner des passages fluides et magnifiques à ces véritables tartines de mots. Ce côté élitiste, intellectuel de l'écriture peut en faire reculer plus d'un et c'est bien dommage.

Malgré ce dernier défaut que je pointe du doigt, il ne faudrait surtout pas finir sur un reproche : "Trois femmes puissantes" est un grand livre qui résonne comme un coup de tam-tam et dont on sort sonné. Ce livre et son auteur, sujets à polémique, ne se feront sans doute pas oublier de sitôt et le meilleur moyen d'avoir son propre avis est sans doute de lire cet indéfinissable écrit soi-même.

La critique de Dédé :

Marie Ndiaye est exigeante avec son lecteur, ne lui accorde aucune facilité : ni la structure du récit (énigmatique découpage en trois récits en apparence liés par d'insignifiants repères spatio-temporels), ni le jeu sur les rythmes (longues, parfois interminables introspections lors des épisodes fondateurs ou révélateurs des personnages principaux, puis raccourcis et ellipses aussi audacieux que déconcertants), ni le niveau de la langue (d'une rare virtuosité tant lexicale que syntaxique), ni la force et la violence des évocations ( description sans concession d'une humanité si apte à l'amour et à la monstruosité).

Mais Marie Ndiaye est aussi exigeante avec elle-même, traçant son sillon avec obstination sans la moindre faille, la moindre concession à la facilité, dans l'écriture, la conduite des personnages, le respect du lecteur.

Entre France et Afrique, entre homme et femme, entre bien et mal, entre ombre et lumière, entre réel et imaginaire, elle nous donne à cotôyer trois femmes puissantes d'avoir, avec foi et obstination, fait le chemin qui les a menées de l'autre côté, jusqu'à interroger leur part obscure, quitte à y perdre leurs illusions, leur liberté ou même la vie.

Marie Ndiaye se fait arbre, témoin muet de l'agitation et des turpitudes humaines; elle se fait oiseau, observateur impitoyable mais aussi parfois acteur inquiétant de l'imaginaire humain. Elle se fait femme surtout, passeuse du désir des femmes et de la faiblesse des hommes, ou peut-être de la puissance castratrice des femmes et de l'impuissance des hommes.

Elle est surtout l'honneur de la condition humaine, capable d'exorciser l'horreur par la puissance de la pensée et du verbe.

J'ai lu "Trois femmes puissantes" immédiatement après "Ce que je sais de Vera Candida". J'ai eu la sensation de deux auteurs en quête de la même honnête et exigeante compréhension de la condition faite aux femmes comme aux hommes, de la même rédemption pour l'humanité par la foi en sa capacité à dépasser ses peurs . . . l'une avec humour et légèreté, l'autre avec force et rigueur.

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